Les technologies digitales font désormais partie du quotidien des agriculteurs : petites ou grandes entreprises agricoles, jeunes et moins jeunes exploitants, rares sont ceux qui n’y ont pas recours. La filière produit ainsi une foule de données, utiles pour améliorer les performances économiques et environnementales et aiguiller les prises de décisions pour une agriculture de précision. Mais la transition numérique n’en est qu’à ses débuts et soulève encore des questions.
Transformer les données en outils d’aide à la décision
GPS, drones, robots équipés de capteurs, applications mobiles, objets connectés sont autant d’outils qui facilitent le quotidien des agriculteurs, permettent d’optimiser le pilotage de leur activité et de prendre des décisions éclairées. En surveillant champs, troupeaux et bâtiments, en scrutant les évolutions météo et
celles des marchés, en anticipant les rendements, l’agriculture dans son ensemble génère ainsi quantité de données précieuses.
Avec cette « data agricole » à disposition, les enjeux sont considérables pour toute la filière. « Il y a beaucoup à faire
autour de la traçabilité, avec une attente sociétale forte pour plus de transparence sur les produits alimentaires. Les données collectées peuvent
aussi être mobilisées à des fins d’augmentation de la compétitivité et de la productivité des exploitations, en permettant d’accroître à la fois leurs
performances économiques et environnementales » souligne Guillaume Joyau,chargé de mission Recherche& Innovation au sein du département Économie et Développement durable de la FNSEA. Il note également l’impact de l’utilisation du numérique et de l’analyse de données sur le quotidien des agriculteurs, en libérant du temps d’astreinte ou en leur permettant d’être avertis des incidents rapidement, et souvent à distance.
« L’intérêt pour l’agriculteur est très concret. Pouvoir par exemple, grâce à des capteurs qui vont passer au plus près de la plante, observer la santé de ses cultures, c’est être en mesure d’anticiper des actions ciblées en cas de maladie », complète Jean Inderchit, Responsable produit Dino chez Naïo Technologies.
Une digitalisation pas à pas
Si l’utilisation des données est déjà relativement répandue en vigne, la digitalisation des exploitations est, de manière générale, encore naissante, et des freins à l’adoption subsistent. Le coût de l’investissement d’abord, les cycles de renouvellement des équipements s’étalant sur une, voire parfois deux décennies. Le déploiement des infrastructures nécessaires à une bonne couverture réseau également, certaines zones étant encore peu compatibles avec le tout-connecté. Il n’existe pas non plus de standards en matière d’outils et de protocoles utilisés, ce qui rend complexes la communication et l’interopérabilité entre les différents systèmes de collecte de données.
Et puis, l’usage des datas récoltées aux champs soulève aussi son lot de questionnements. « Si c’est bien l’exploitant qui, de par son activité, produit ces données, leur analyse, agrégation et recoupement avec d’autres, ainsi que leur valorisation en une information utilisable, restent très souvent du ressort de tiers spécialisés », explique Guillaume Joyau. De quoi s’interroger sur l’utilisation qui est faite des données, sur leur portabilité ou encore leur stockage… La charte et le label Data-agri, créés à l’initiative du Conseil de l’Agriculture Française (dont la FNSEA est membre), visent à instaurer une éthique et des pratiques loyales dans le numérique agricole. « En assurant la transparence et en garantissant la maîtrise de l’usage des données à l’agriculteur, on crée un contexte favorable à l’utilisation des données par l’ensemble des acteurs de la chaîne. Ce sont des questions primordiales pour structurer l’écosystème qui se met en place » résume Guillaume Joyau.
Émergence d’une « Smart Agriculture », ou agriculture de précision
D’autant que l’analyse et l’interprétation de la « Big Data agricole » représentent aujourd’hui l’opportunité de révolutionner en profondeur les pratiques agricoles.
« La collecte doit avoir une visée très précise et utile, pour constituer une véritable aide au pilotage de l’exploitation. Si un porteur autonome est capable, en même temps qu’il désherbe une parcelle de salades, de compter les plants et de les localiser dans l’espace pour fournir à l’agriculteur une carte de son champ, du nombre de têtes et de leur diamètre moyen, cela lui donne un niveau d’information extrêmement élevé pour optimiser la manière dont il fait pousser ses plantes », illustre Jean Inderchit de Naïo. Prédiction de rendements, amélioration des pratiques ou encore détection précoce des maladies – permettant d’agir localement pour éviter la pulvérisation de produits néfastes pour l’environnement et l’utilisateur – sont autant de sujets au service desquels les données peuvent faire beaucoup, ouvrant la voie à une agriculture de précision.
Pour Guillaume Joyau, il est évident que « le numérique est un des moyens de répondre à beaucoup des nouveaux enjeux auxquels nous sommes confrontés. Avec le changement climatique par exemple, ce sont des maladies différentes, une surveillance différente et de nouveaux risques qui émergent, que les outils digitaux vont permettre de mieux gérer. Et de la même manière que le machinisme a métamorphosé l’agriculture dans les années 60, ces technologies vont très certainement nous amener à changer la façon d’approcher la production et le paysage agricole, en dessinant de nouveaux modèles ».